
Pourquoi les infos sur les runes divergent (et qui a raison)?
Aujourd’hui, j’ai reçu un commentaire sur le blog, sous l’article qui explore l’influence des Dieux et Déesses Nordiques selon les lettres de ton prénom. La personne me disait qu’elle s’intéressait beaucoup aux runes mais qu’elle se sentait perdue dans son apprentissage: sur mon ancien site Apprendre les runes, j’avais en effet écrit que Kenaz était associée à Freyja, alors qu’ici, sur Hedomyst, je parle d’Odin. Forcément, ça crée de la confusion.
Ma première réaction a été: mince, ce n’est pas du tout le but d’embrouiller les gens. Mais très vite, je me suis dit que c’était au contraire un sujet parfait à explorer. Parce que si tu t’es déjà plongé.e dans les runes, tu as sûrement remarqué que les informations divergent selon les livres, les blogs, les praticiens. Et ça soulève une question que tout le monde finit par se poser: qui a raison?
Un socle… puis des couches
Les runes ne sortent pas d’un chapeau moderne. Chacune portait à l’origine un nom concret (principe acrophonique: le nom commence par le son noté par la rune) que l’on retrouve dans les poèmes runiques médiévaux et par comparaison des langues germaniques. Fehu signifie richesse/bétail, Uruz aurochs, Sowilo soleil, Hagalaz grêle, etc.
Il existe donc un noyau de sens assez stable.
Ce qui diverge ensuite, ce sont les images régionales et les couches symboliques ajoutées au fil du temps. C’est là que des lectures différentes apparaissent… sans que le socle de départ disparaisse.
Un héritage fragmentaire
Quand on parle des runes, de leurs significations et des dieux qui leur seraient associés, il faut d’abord remettre les choses dans leur contexte. Historiquement, nos sources sont extrêmement limitées. On a quelques inscriptions runiques gravées sur la pierre, le bois ou le métal. On a les Eddas et les sagas, rédigées bien plus tard, souvent avec un filtre chrétien. Et c’est à peu près tout.
Ce qu’on n’a pas, c’est une liste officielle, transmise directement des anciens peuples, qui dirait par exemple : “Kenaz = telle divinité, Fehu = telle autre, etc.” Rien de tel n’existe dans les textes. Les runes étaient utilisées avant tout comme alphabet et comme système symbolique, mais leur dimension spirituelle et magique reste entourée de zones d’ombre.
Les correspondances modernes « une rune = un dieu » n’existent pas telles quelles dans les sources anciennes. On ne possède pas de tableau officiel qui dirait « Kenaz = Freyja » ou « Raido = Thor ». En revanche, quelques runes portent elles-mêmes des noms liés au divin: Ansuz renvoie aux Ases (les dieux), Tiwaz à Tyr, Ingwaz à Ing/Freyr. Pour le reste, les attributions systématiques d’une divinité à chaque rune sont des constructions plus tardives qui varient selon les courants.
Sources du socle : les poèmes runiques (anglo-saxon, norvégien, islandais) décrivent chaque rune par une image courte. En croisant ces poèmes avec le vieux norrois, le vieil anglais, le gotique, on retrouve les noms d’origine des runes du Futhark ancien et leurs sens de base (soleil, glace, grêle, bétail, aurochs, cheval, année, etc.). Les divergences viennent surtout des traditions régionales et des interprétations modernes.
En clair: il n’y a pas une vérité unique, mais une mosaïque d’interprétations qui se sont construites au fil du temps, chacune avec sa logique interne.
Multiples traditions = multiples visages
Prenons un exemple concret : Kenaz, la torche.
Dans certaines traditions modernes, on l’associe à Freyja. La lumière de Kenaz devient alors le feu de la passion, de la sensualité, de l’art et de la magie Seidr que Freyja incarne. C’est une lecture qui met en avant le féminin, la créativité, l’élan vital.
Dans d’autres approches, Kenaz est reliée à Odin. Ici, la torche n’est plus celle de la passion, mais celle de la quête de connaissance. C’est la flamme intérieure qui éclaire dans l’obscurité, même si cette lumière demande des sacrifices, et Odin est justement le dieu des épreuves initiatiques, celui qui suspend sa chair pour arracher un savoir caché.
Côté sources historiques (Kenaz) :
Les textes médiévaux eux-mêmes ne sont pas uniformes. La tradition anglo-saxonne nomme ᚲ Cēn (« torche de pin ») et insiste sur la lumière qui éclaire la maison. La tradition islandaise nomme la même rune Kaun (« ulcère ») et évoque la maladie. On voit bien la double racine possible du symbole: la torche qui éclaire et la plaie qui chauffe. Les associations à Freyja (passion, magie seiðr) ou à Odin (quête de connaissance) sont des couches interprétatives modernes, cohérentes mais non exclusives.
Ces deux visions peuvent sembler opposées, mais elles coexistent. Elles ouvrent simplement deux portes différentes vers le même symbole. D’un côté, Kenaz comme feu de vie, de désir, de magie incarnée. De l’autre, Kenaz comme feu de l’esprit, illumination intérieure, courage d’affronter l’ombre.
Plutôt que de chercher qui a raison, il est beaucoup plus fertile de voir comment ces visages se complètent. Les runes ne se laissent pas enfermer dans une seule interprétation. Elles parlent avec plusieurs voix, et c’est souvent dans les contrastes qu’elles révèlent leur profondeur.
Trois exemples qui montrent le socle et les variations
- Fehu (ᚠ) : richesse/bétail. Les poèmes anglo-saxons et nordiques confirment l’idée de richesse matérielle… et ses tensions familiales.
- Thurisaz (ᚦ) : en Scandinavie, Þurs = géant hostile; en Angleterre chrétienne, la même rune devient Thorn = épine. Même son, image différente.
- Jēra (ᛃ) : année/récolte, cycle fertile. Cas célèbre: sur la pierre de Stentoften, la j-rune est employée de manière idéographique pour signifier « bonne année/récolte » (ár).
Le chemin personnel
C’est là que beaucoup se trompent au départ: les runes ne sont pas un dictionnaire dans lequel on viendrait chercher une définition unique et figée. Elles fonctionnent davantage comme un miroir. Elles reflètent ton état du moment, ta pratique, ton regard… et changent avec toi.
L’association qui “colle” à une rune peut varier selon la période de ta vie, ton expérience ou même le type de travail que tu fais avec elle. Kenaz pourra t’éclairer comme la passion brûlante de Freyja si tu traverses un moment d’élan créatif, et prendre la gravité initiatique d’Odin si tu es en pleine quête de sens ou de transformation intérieure.
Et c’est justement là que l’humilité est essentielle. Les runes ne livrent pas de vérité définitive. Elles se dérobent toujours un peu, comme pour nous rappeler qu’elles sont le travail d’une vie. Accepter qu’il n’y aura jamais une seule réponse, c’est déjà entrer dans leur sagesse.
Mon propre parcours
Au fil de mes recherches, j’ai appris à distinguer le socle attesté (les noms et images des poèmes runiques) des couches interprétatives qui donnent de la chair à la pratique. Mon travail, aujourd’hui, c’est d’assumer cette articulation.
Quand j’ai lancé mon premier site, Apprendre les runes, mon intention était simple: rassembler les connaissances que je découvrais et transmettre les associations les plus répandues. C’était un travail de recherche et de pédagogie, avec l’envie d’apprendre et de rendre accessibles les bases à celles et ceux qui, comme moi, débutaient.
Avec Hedomyst, j’ai franchi une nouvelle étape. Je ne cherche plus seulement à compiler, mais à incarner ma pratique, à assumer les nuances et à montrer que les runes ne se laissent pas réduire à une seule grille de lecture. Mon approche est devenue plus vivante, plus personnelle, et aussi plus consciente des zones d’ombre.
Je trouve important de laisser ces deux espaces exister. Apprendre les runes garde la trace de mon point de départ, Hedomyst reflète mon cheminement actuel. Et au fond, c’est exactement ça que les runes nous enseignent: l’apprentissage ne s’arrête jamais. Chaque étape compte, chaque version de nous-même éclaire la suivante.
Les runes sont le travail d’une vie
Il n’y a pas de “bonne réponse” à chercher comme on résoudrait une équation. Il y a des chemins, des résonances, des interprétations qui s’entrecroisent. Et c’est précisément ce qui fait leur puissance.
Plutôt que de craindre les divergences, il vaut mieux les voir comme des portes différentes qu’on peut franchir pour explorer le même mystère. Chaque source, chaque auteur, chaque praticien offre une facette. À toi de sentir celle qui t’appelle aujourd’hui, et peut-être demain ce sera une autre.
Approcher les runes, c’est accepter qu’elles se dérobent toujours un peu, qu’elles nous échappent, et que c’est dans cette humilité que naît leur magie. Alors note les variations, questionne-les, fais-en ton terreau. Les runes ne demandent pas qu’on ait raison. Elles demandent qu’on marche avec elles.
Alors qui a raison?
La réponse la plus honnête: il existe un noyau stable (les noms d’origine et leurs images attestées) et des couches d’interprétation qui varient selon les régions, les époques, et les pratiques. Personne n’a « la » réponse unique. Chacun éclaire une facette de la même rune.
Celui qui dit “c’est Freyja, point final” ou “c’est Odin, point final” enferme la rune dans une boîte trop petite pour elle. La vérité, c’est que les deux approches sont valables, selon le contexte dans lequel tu travailles et ce que tu veux explorer.
Au fond, demander “qui a raison ?” n’est pas la bonne question. La vraie question, c’est: quelle interprétation ouvre quelque chose en moi, ici et maintenant ?
FAQ : comprendre les divergences dans les sources runiques
Pourquoi les sources divergent ?
Parce que nos témoignages viennent principalement de l’époque médiévale et de régions différentes. Les poèmes runiques donnent un socle commun, mais pas un tableau figé. Ensuite, les auteurs modernes ont développé des lectures symboliques variées.
Y a-t-il une “vraie” divinité par rune ?
Pas de tableau complet dans les sources. Oui, partiellement, car certaines runes portent un nom divin (Tiwaz, Ansuz, Ingwaz). Pour le reste, l’attribution d’une divinité à chaque rune est une convention moderne qui dépend des écoles.
Comment savoir quelle interprétation suivre ?
Écoute ton ressenti. Teste dans ta pratique, observe ce qui résonne avec ton vécu, prends des notes. Les runes évoluent avec toi et t’ouvrent plusieurs portes: choisis celle qui te parle au moment présent.
Est-ce grave si je me trompe ?
Non. On est dans un champ où plusieurs lectures peuvent coexister selon le cadre (région, époque, pratique). Avance, documente, ajuste : c’est comme ça que ton lien aux runes se renforce.


3 commentaires
Rémi
Salut Elo — je viens de lire ton article “Pourquoi les infos sur les runes divergent (et qui a raison ?)”. Voici ce que ça m’a inspiré :
J’ai trouvé super marquant ton passage : « Plutôt que de chercher qui a raison, il est beaucoup plus fertile de voir comment ces visages se complètent. » Pour moi, c’est là que tu apportes une vraie profondeur : au lieu de trancher dans l’absolu, tu invites à la nuance, à l’exploration personnelle.
Tu réussis à mêler l’historique (le socle authentique des runes), les traditions régionales, et ta propre expérience vivante — ça rend ton texte à la fois fiable et humain. Vraiment, ça aide à se sentir autorisé à ressentir, à choisir, plutôt qu’à accepter un discours imposé 🙂
Flore du Web
Merci pour cet article qui me fait découvrir tout un univers. Je ne suis pas du tout ésotérisme mais apr cotnre, j’adore l’idée de se faire un peu aider pour des choix difficile. La rune peut être j’imagine parfaite pour ça, pour aider à rpendre des décisions. Car finalement, ce que l’on entend peut être interprêter un peu comme on le veut et c’est excellent pour les grandes indécises comme moi !
Magdalena
Je découvre ton univers et tu expliques avec beaucoup de clarté et de bienveillance que les divergences autour des runes sont en fait une richesse, pas une contradiction. Plutôt que de chercher une vérité figée, tu invites à explorer les différentes facettes et à construire sa propre pratique. Merci !