
Anti développement personnel: 10 ans de pull licorne plus tard
Anti développement personnel : pas un pamphlet rageur, une histoire vraie, en chair, en nerfs, et en laine à paillettes. Pendant dix ans, j’ai cru qu’un pull licorne pouvait recoller les morceaux d’une âme cabossée. Je l’ai porté comme on porte un talisman et un alibi : “regardez, je vais bien, je rayonne, j’ai lu les bons livres”. Ce texte raconte comment j’ai cessé de me “réparer” pour commencer à me respecter.
Tu ne trouveras ici ni protocole miraculeux ni “morning routine” à cocher. Tu vas lire une traversée : Paris en 22 m² et bore-out, un bubble tea où les mots coincent, un rayon Montparnasse qui promet la lumière mais n’offre que des néons, un blog trop sage, des années pastel à sourire crayon entre les dents.
Puis la vraie vie qui débarque sans rendez-vous : maladie, déménagement, tribu metal, Heilung en plein hiver, et un Hellfest qui me rend enfin mon propre visage. À la fin, je ne décroche pas un énième badge de performance : je donne le pull licorne.
Si tu as déjà suffoqué sous les injonctions qui transforment nos vies en projets et nos émotions en KPI, installe-toi : 12 minutes de lecture, zéro mantra, un humour noir bien élevé, et une promesse simple: sentir au lieu de performer.
Anti développement personnel : hamsters en cavale et autres rébellions molles

Paris, 22 m² : tableau de bord sans la vie
J’atterris à Paris avec la grâce d’un sac de haricots. Bore-out express, salaire qui tient sur un ticket resto, 22 m² meublés à deux. À ce moment-là, je ne connais rien au développement personnel ; je suis cette meuf qui doit bien faire et surtout ne pas s’écrouler.
Alors je blinde la façade : je lance un blog/insta manucures et outfits of the day, je compte mes macros, je file à la salle 3 fois par semaine. Résultat : –12 kg, je rentre dans un 36 pour la première fois depuis la pré-ado… et je perds mes boobs dans la bataille. Un jour, en cabine d’essayage, je pleure devant des bonnets A qui n’attrapent plus rien. Je ne reconnais plus mon corps.
En surface, la vie est lisse. Filtres soignés, ongles nets, “ça va super et toi ?”. Dedans, une boule à l’estomac qui ne décroche jamais. J’empile de la peinture sur les murs, mais ça moisit dessous. Le mot-clé anti développement personnel n’existe pas encore pour moi ; il grince déjà comme une charnière qu’on n’entend que la nuit.
Bubble tea, book club et rébellion molle
Un après-midi, je fissure. Je me barre du taf sans prévenir. Niveau insurrection : un hamster en cavale. Je fais le mur pour un book club d’inconnus dans un salon de bubble tea. La lumière est rose chewing-gum, les perles claquent contre la paille, et ma voix cherche un mode d’emploi.
Je parle mal, donc vrai. C’est socialement pataud, physiologiquement épuisant, mais je sens un souffle : peut-être que je peux bouger sans replonger dans mes anciens excès, sans rejouer la comédie du “tout va bien, regardez mes ongles”.
Sur le chemin du retour, la culpabilité remonte : “C’était ridicule.” Peut-être. Mais j’ai besoin d’une vie à moi, pas d’un relooking moral. Je note mentalement : arrêter de performer le quotidien. J’ignore encore que ce malaise deviendra, quelques chapitres plus loin, mon petit manifeste anti développement personnel.
Montparnasse : le rayon qui promet (tout)
Le soir, Montparnasse, couloir de FNAC. Mes yeux accrochent un rayon où je n’ai jamais mis les mains : slogans vernis, couvertures qui promettent la lumière. Tony Robbins me fait de l’œil comme un vendeur de soleil. Je tends le bras. Premier pas, naïf, dans un monde qui jure qu’avec assez de volonté tu deviendras la version premium de toi-même. J’achète la promesse comme on achète une lampe contre l’hiver.
Dans le métro, je respire plus grand. L’espoir gonfle, l’illusion aussi. Il manque sur le ticket de caisse l’avertissement honnête : ces rayons éclairent fort, mais chauffent peu. Je rentre chez moi convaincue d’avoir trouvé la lumière. Spoiler : ce n’étaient que des néons.
Mode “version premium” activé
Je bascule. Bilan de compétences pour me trouver un mode d’emploi. Fac du soir pour décrocher l’équivalent du bac tout en restant en poste. Rupture conventionnelle pour “me lancer”.
Je décide de devenir coach de vie sur le web. Je lis tout, je suis tout, je respire mindset comme on respire dans un sac en papier. Je refais ma garde-robe. Le noir est interdit. Pastel obligatoire. La déco suit, jusqu’à la vaisselle.
J’ouvre un blog, Zone de Boost, oui, vraiment. J’achète un pull licorne, laine douce, couleurs pop, promesse de rayonner. Je pratique le sourire-crayon coincé entre les dents. Glamour, zéro. Je colle des petits chapeaux rigolos sur mes monstres intérieurs pour qu’ils fassent moins peur sur la photo.
À ce moment-là, je suis à des années-lumière d’une posture anti développement personnel. Je crois encore qu’il faut me réparer pour avoir le droit d’exister.
Zone de Boost, ou comment repeindre une cage

Je culpabilise d’être “à la maison à rien faire” pendant que Chéri bosse. Alors je m’enferme et je travaille tout le temps. J’empile des formations gratuites, des vidéos de respiration, des conférences pour visualiser une douche de billets. Et des promesses de succès overnight.
J’apprends tout et son contraire. Je deviens mon propre open space. La nuit, j’écris dans un carnet. “J’ai repeint ma cage en rose.” C’est joli. C’est une cage.
Je confonds constance et auto-violence. Discipline et punition. Je crois que si j’ajoute une couche de vernis, je finirai par croire à ma façade. L’anti développement personnel n’est encore qu’un murmure. Il grince dans un coin quand la musique relaxante s’arrête et que la pièce redevient silencieuse.
La réunion, les néons, et la phrase qui pique
Le blog ne décolle pas. Mes droits non plus. Fin de chômage. Je retourne travailler.
Quand l’hiver arrive, j’arrive en pull licorne. Open space, lumières chaudes et indirectes sur les bureaux. Feng Shui. C’est moi qui ai refais la déco. Une collègue me lance, mi-taquine mi-perplexe. “Oh, un pull licorne. Parce qu’on est gentils et bisounours c’est ça?”
Je souris, fière comme un lever de soleil. “J’ai banni le noir depuis des années.” Elle fronce les sourcils. “Je t’imaginais plus rock que lunettes roses.”
Le vernis craque.
Une question sèche me traverse. Qu’est-ce que je fous. Je sens le masque bouger sur mon visage. L’anti développement personnel se rapproche d’un mot. Il ressemble à un non. Un non aux néons qui éblouissent sans réchauffer.
Fissures dans le pastel
Je recommence à traîner avec des gens qui me ressemblent un peu plus. Je bosse beaucoup. La façade pastel prend l’eau. Garder le sourire me coûte plus cher que dire la vérité.
Une nuit, j’ouvre le placard et je ressors une vieille veste sombre rescapée du génocide. Je l’enfile. Ça me va mieux. Ce n’est pas un repli. C’est un retour. Je ne le sais pas encore, mais la licorne commence à perdre. Et avec elle, l’idée qu’il faudrait me transformer en version premium pour être à ma place. L’anti développement personnel devient une piste. Pas un slogan. Une respiration.
Anti développement personnel : la vraie vie réclame un test grandeur nature
Covid, hôpital, cartons : plan de bataille
La vie pose les pieds sur la table. Covid. Confinement. Chéri tombe malade (mais pas du Covid).
Je fais les soins à domicile, je file à l’hôpital deux fois par jour pour apporter à manger, prendre des nouvelles, organiser ce qui peut l’être. On doit quand même déménager à Lyon, décision prise avant la tuile. Je bosse le jour, je cartonne la nuit quand il n’est pas là pour éviter la poussière. Je vends des meubles, je gère des papiers, je tiens.
Mes mains sentent le gel hydro, la pharmacie, et une hargne très propre. Anti développement personnel en action malgré moi : aucune affirmation magique, juste une logistique millimétrée et un cœur qui refuse de lâcher.
Quand on arrive à Lyon, un nouveau rythme tombe, pas glamour, efficace. La façade pastel a cessé de parler. Le réel a repris la parole.
Lyon, boulot, et le coup de canif
Au travail, le sale coup. Quatre ans à tout donner. On m’annonce, ton mielleux-technique, qu’on va m’amputer de la moitié de mes fonctions. Sans m’en parler. Avec des petites piques bien réglées.
Je bouillonne. Partir. Rester. J’évalue froidement. La licorne gratte dans le dos. Elle ne me protège plus de rien. Elle me démange. Je la regarde pour ce qu’elle est devenue : un costume qui m’empêche de lever les bras.
L’anti développement personnel prend une forme nette dans ma tête. Ce n’est pas refuser l’effort. C’est refuser la mise en scène quand la scène tourne au dénigrement. Je serre les dents. Je serre aussi les rangs. Je me mets en mode clair. Plus de smiley dans les mails. Des faits. Des décisions. Et le soir, du silence. Je m’entends à nouveau.
Heilung : la porte du Nord s’ouvre

Chéri me présente des collègues. Metal. Gamers. Enfin des gens qui ont les mêmes passions, hobbies, et le même humour que moi. Un soir d’hiver, premier concert de Heilung. Tambours. Peaux. Souffle blanc.
Dans cette cathédrale païenne, je suis la seule en polaire rose pastel. Et je me sens bien ici. Juste, le courant s’inverse. Je suis en décalage gênant avec moi-même. Je me rends compte que je porte un déguisement tous les jours, et que ma vraie personnalité, elle est ici. Je me sens mieux que dans tous mes ateliers “rayonnement personnel” réunis. Les rythmes frappent dans le sternum, réaccordent ce qui avait vrillé. Je découvre le Nord : mythes, runes, bois et fer.
Rien de très ésotérique chez moi à ce moment-là, juste une sensation de maison.
Les mystères, la magie, tout ça m’a toujours fascinée depuis le plus jeune âge. Je me rappelle que de retour de l’île de Jersey en vacances avec mes parents, j’avais eu une structure en coquillages à pendre au plafond dans ma chambre. J’adorais la regarder, tourner autour, souffler dessus. Et j’avais inventé un rituel.
Je faisais jouer les coquillages, et je devais fermer les yeux pour les rouvrir quand ils se seraient parfaitement stabilisés, en me concentrant sur le son et mon intuition. J’imaginais qu’il s’agissait d’une prière à des dieux oubliés. J’avais 10 ans, et « beaucoup d’imagination », me disait-on. Avec le temps, j’ai oublié ces jeux.
Pour revenir à nos moutons, cette ambiance de concert, ce n’est pas la sinistrose. L’ambiance est sombre, mais pas pesante. C’est une joie qui ne prouve rien à personne. Elle tient debout sans projecteur. Elle n’a pas besoin d’être postée. Pour la première fois depuis longtemps, je n’ai plus la boule à l’estomac. J’ai une boussole.
Hellfest : noirceur radieuse, au revoir licorne
Mes 40 ans. Je foule pour la première fois la terre du Hellfest. Poussière qui colle aux chevilles. Chaleur du pit. Guitares qui balayent l’âme comme un grand air. Le shift est net. Je suis bien dans ce que les autre appellent la « noirceur ». Pas “mal”. Bien. La noirceur, ce n’est pas le drame. C’est arrêter de mettre un filtre sur ce qui est. Pour moi, c’est l’authenticité, le zéro bullshit, le brut, le sauvage, et probablement plus éclairé que sombre.
J’ai enfin le visage qui va avec ma voix. Je donne le pull licorne en rentrant. Pas de cérémonie. Merci pour le service. Porte-toi bien chez Vinted.
J’emporte autre chose comme talisman : une façon sobre de marcher droit. Anti développement personnel, version terrain. Ni mantra, ni posture. Des choix. Des frontières. Des nuits où l’on dort mieux.
Le vrai développement personnel a commencé le jour où j’ai arrêté d’en faire.
Anti développement personnel : garder l’essentiel, jeter le reste
Ce que j’ai gardé
J’ai gardé le respect de mon corps quand il dit non. Pas un non dramatique, un non qui connaît ses limites et choisit son heure.
J’ai gardé le plaisir comme information : si quelque chose m’éclaire de l’intérieur, je m’en approche ; si ça me ratatine, je m’éloigne.
J’ai gardé des rituels simples, pas pour parader, pour sentir. Un mug chaud entre les mains, trois respirations nettes, une marche au froid, un morceau qui fait vibrer la cage thoracique.
J’ai gardé l’exigence. Elle n’a rien à voir avec l’auto-violence. L’exigence demande de la clarté, pas du sang.
J’ai gardé la tribu, ces feux de camp qui réchauffent sans brûler. On y pose les armures, on y repart plus droit. Tout cela n’est pas une méthode. C’est ma façon anti développement personnel d’habiter ma vie : moins d’angles droits, plus de boussole.
Ce que j’ai jeté
J’ai jeté la culpabilité en premier. Elle ne m’a jamais appris autre chose que la petitesse.
J’ai jeté le masque pastel qui demandait du sourire quand j’avais besoin de silence.
J’ai jeté la volonté de plaire aux néons. Ils éclairent trop, ils ne réchauffent pas.
J’ai jeté les listes qui confondent contrôle et apaisement.
J’ai jeté l’idée qu’il fallait mériter sa place par une performance continue.
Ce que j’appelle anti développement personnel, ce n’est pas dire non au progrès. C’est dire non au spectacle permanent du progrès. On peut avancer sans se mettre en vitrine. On peut changer sans se renier. On peut être tendre et tranchée à la fois.
Par “noirceur”, je ne célèbre ni l’autodestruction ni la pose rock cabossée. Je parle de lucidité, de la part nocturne qui donne du relief aux choses. C’est l’ombre qui fait mieux voir le feu, pas un prétexte au cynisme ou à la violence. Elle pose des limites, elle baisse le volume du monde, elle rend la joie plus nette. Dans mon anti développement personnel, la noirceur est une hygiène de l’âme, pas une esthétique de la casse.
Noir, respiration
Quand je remets du noir, je ne suis pas triste. Je respire. Le noir calme la pièce, il rend les contours honnêtes.
Quand je ris noir, je ne méprise personne. Je me tiens debout. C’est ma façon d’être du côté du réel, avec ses bosses et ses braises. Je n’attends plus que la vie ressemble à une affiche. Je la prends comme elle vient, et je la règle à ma mesure.
C’est peu, c’est assez.
Anti développement personnel : manifeste de poche
Version de poche
- On n’est pas des projets.
- Le confort peut être courageux.
- Les rituels servent à sentir, pas à scorer.
- Échouer est une compétence.
- L’authenticité n’est pas du laxisme.
- La joie n’a pas à faire ses preuves.
- Le plaisir est une information.
Dernière ligne
Je n’ai pas arrêté de grandir. J’ai arrêté de me mettre en vitrine. Le vrai développement personnel a commencé le jour où j’ai arrêté d’en faire. Si tu veux la version longue, viens au feu de camp. On mettra du thé, du métal bas, et on comparera nos masques. Je te montrerai l’endroit où le mien s’est fendu.

